Le 12 décembre dernier, notre association a eu le grand plaisir d’accueillir dans les locaux du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le Directeur général du CRISP Jean Faniel pour un exposé sur la crise politique que vit notre pays, suite aux dernières élections législatives, de mai 2019.
L’orateur nous a été présenté par notre président Michel Foret, qui n’a pas manqué de nous rappeler que notre invité était liégeois comme lui (même s’il habite à Eupen !). Jean Faniel est docteur en sciences politiques, et Wikipédia nous apprend que ses principaux thèmes de recherche sont : la vie politique belge et son financement, la concertation sociale, le chômage et les politiques de l’emploi ; mais aussi les acteurs socio-politiques (les partis politiques, les élections, les syndicats, les mouvements sociaux).
Le Centre de recherche et d’information socio-politiques – CRISP – est un organisme indépendant qui a pour objet l’étude de la décision politique en Belgique et dans le cadre européen. Les travaux du CRISP s’attachent à montrer les enjeux de celle-ci, à expliquer les mécanismes par lesquels elle s’opère, et à analyser le rôle des acteurs qui y prennent part. Les sujets étudiés englobent l’ensemble de la vie politique, sociale et économique : à côté des partis politiques, des organisations représentatives d’intérêts sociaux et des divers groupes de pression, le CRISP étudie les groupes d’entreprises, qui sont les structures les plus importantes du pouvoir économique.
Le CRISP, créé en 1958, a déjà publié plus de 2.400 numéros du bien connu « courrier hebdomadaire ».
Mais il produit également des ouvrages qui analysent d’une façon plus approfondie certains sujets, comme par exemple le tout récent « Aux sources de la particratie ». Jean Faniel nous explique que, de longue date, la Belgique est considérée comme une particratie en raison du poids prépondérant qu’ont les partis politiques dans les processus de décision. « En effet, dit-il, les choix cruciaux sont davantage posés par les dirigeants de ces structures que par le Parlement. Les parlementaires, et même les ministres, sont les exécutants de ce que les présidents des partis ont décidé et les votes au Parlement sont dictés par la ligne du parti ». Nous vous recommandons la lecture de cet ouvrage.
La présentation du CRISP étant terminée, Jean Faniel nous entretint de la crise politique que nous connaissions. Il commença par un bref rappel des événements : 21 décembre 2018 : le roi accepte la démission du gouvernement Michel II et le charge d’expédier les affaires courantes ; 26 mai 2019 : scrutin multiple ; 30 mai : Didier Reynders et Johan Vande Lanotte informateurs ; 2 juillet : Charles Michel sera le futur président du Conseil européen ; 24 août : Didier Reynders sera le futur commissaire européen belge ; 7 octobre : fin de la mission d’information ; 8 octobre : Geert Bourgeois et Rudy Demotte préformateurs ; 27 octobre : Sophie Wilmès devient Première ministre ; 5 novembre : fin de leur mission ; Paul Magnette informateur ; 10 décembre : fin de sa mission ; Georges-Louis Bouchez et Joachim Coens informateurs.
Beaucoup d’informateurs et de préformateurs, mais toujours pas de facilitateurs ni de formateurs ! Jean Faniel profita de l’occasion pour nous faire remarquer que jamais, depuis 1830, ce genre de mission n’a été confié à une femme !
L’orateur nous expliqua que le scrutin 2019 est historique, que la crise est plus profonde qu’en 2011 :
- Participation nette la plus faible de l’histoire
- 6 partis traditionnels < 50 % pour la 1ère fois
- Les 4 vainqueurs étaient tous dans l’opposition, tous les partis de pouvoir reculent
- Écarts resserrés, pas de nouveaux acteurs
- Wallonie et Bruxelles encore + à gauche, Flandre encore + à droite
- Priorité à la formation des gouvernements régionaux et communautaires
À la question de savoir pourquoi les néerlandophones votent de plus en plus à droite alors que c’est l’inverse en Wallonie (aux dernières élections : 55% à gauche en Wallonie et à peine 25% en Flandre), Jean Faniel avance un faisceau, un cocktail de causes plutôt qu’une seule. En vrac :
- La Flandre, qui a un passé plus rural et plus catholique que la Wallonie, a une culture du vote plutôt « du côté du patron ».
- Le passé économique et social des deux entités n’est pas le même ; l’industrialisation flamande est plus récente et, partant, plus moderne.
- Le PIB régional flamand n’a basculé (par rapport à celui de la RW, au sein de la Belgique) que vers 1957-1958. Depuis lors, il y a un réflexe « nouveau riche » qui a construit sa propre réussite et qui tient à la maintenir.
- Le mouvement flamand, qui n’a, en importance, pas son équivalent en Belgique francophone, a creusé un sillon. Il a trouvé un relai d’abord par l’arrivée au parlement du VB de Karel Dillen en 1978 ; puis de la progression de celui-ci, prolongée par l’émergence de partis populistes (LDD…) et l’arrivée de la NVA.
- La dépilarisation flamande, qui a engendré la volatilité de l’électorat plutôt que l’attachement à des traditions bien ancrées.
De nombreuses autres questions ont été posées, à propos : du confédéralisme, (on ne trouve nulle part dans le monde un exemple dont pourrait s’inspirer la Belgique, à cause du statut de Bruxelles) ; des réformes de l’État, qui ne satisfont pas le grand public ; de l’irréversibilité de certaines réformes (qui, aujourd’hui, accepterait qu’à nouveau le ministre de l’éducation provienne d’un autre groupe linguistique que le sien ?) ; revoter… ; la Belgique est-elle un bon modèle européen ? (réponse : peut-être que le « compromis à la belge » a vécu…) ; du rôle des corps intermédiaires (syndicats – mutuelles) qui a, lui aussi, évolué.
La conférence a eu lieu, rappelons-le, le 12 décembre 2019, soit plus de six mois après les élections. Les participants étaient bien conscients que beaucoup d’eau devait encore couler sous les ponts avant que la crise ne se dénoue. Personne n’était en mesure de tenter un pronostic à propos de la longévité de celle-ci ….
Pour conclure : nous connaissions déjà quelques remarquables personnalités qui ont fait la réputation du CRISP depuis des lustres : Jules Gérard Libois (fondateur), l’inoubliable Xavier Mabille, mais aussi Vincent de Coorebyter qui fut également notre invité il y a quelques années. Jean Faniel lui a succédé en 2013. Après l’avoir entendu, nous savons désormais que le CRISP continue à être en de très bonnes mains !
Bernard Ide