Conférence de Mme Catherine DE BOLLE, ex-commissaire générale de la Police fédérale et nommée directrice exécutive d’Europol, l’Office européen de coopération policière – Jeudi 24 octobre 2019
Notre association a eu l’heureuse idée d’inviter Mme Catherine De BOLLE qui est à la tête d’Europol, une des fonctions européennes particulièrement importante et sensible. Comme l’a souligné notre Président, elle est la première femme à accéder à cette fonction, « 1ère flic d’Europe » selon des journalistes !
Les problèmes de justice et de sécurité l’ont toujours passionnée. Après des études de droit, elle aurait voulu entrer dans la gendarmerie. Pas de chance, elle était trop petite ! C’est donc au service juridique qu’elle a commencé sa carrière pour arriver aux plus hautes responsabilités comme Commissaire générale de la Police Fédérale. Et depuis 2018, direction Europol !
L’idée d’une plus grande coopération dans l’échange des données a été défendue par Helmut Kohl face aux menaces grandissantes du terrorisme, du crime organisé et de la cybercriminalité.
L’Office européen de police(Europol) a donc été créé il y a 20 ans en tant qu’Agence de l’UE, responsable devant le Conseil des Ministres de la Justice et de l’Intérieur de l’UE et, pour partie, du Parlement européen. C’est une plate-forme d’informations sur les activités criminelles, un soutien aux opérations de maintien de l’ordre sur le terrain, un centre d’expertises. Europol est aussi chargé de l’aide aux pays tiers (Russie, Canada, …).
Ce n’est pas un FBI européen puisque les actions d’Europol sont un appui aux Etats Membres et non un bras opérationnel.
De 200 le nombre de collaborateurs est passé à 1200. Le siège est à La Haye et 240 officiers de liaison sont répartis à travers un grand nombre de pays.
C’est sur base d’un mandat précis négocié avec les responsables politiques et traduit par l’élaboration de sa stratégie et d’un programme triennal qu’Europol fonctionne.
Et cela porte ses fruits. Ainsi en 2018, il y a eu plus d’arrestations que d’attaques terroristes. Les pays coopèrent beaucoup plus. Cela ne veut pas dire que l’on en a fini avec le terrorisme car il évolue aussi. Les actes sont plus isolés. Ils sont le fait d’éléments d’extrême droite ou d’extrême gauche. Europol doit donc s’adapter.
Les investissements dans la lutte contre le terrorisme ont été décidés parfois au détriment de la lutte contre la grande criminalité. Or, c’est un défi pour l’Europe. 5000 groupes criminels (40% du monde entier !) y sont présents. Certains s’associent, d’autres coopèrent avec des groupes d’autres continents, notamment Amérique du Sud.
La coopération entre pays est essentielle. D’ailleurs, un pays dirige toujours un des groupes de travail.
Un des instruments d’Europol est l’ «EUROPOL Information System ». Il est très utilisé et également très contrôlé pour la protection des données, par 4 instances différentes. L’ouverture des données est soumise à l’autorisation des pays. Un régime de surveillance que peu d’institutions connaissent !
La coopération avec les pays tiers est cruciale, Europol assure des échanges avec un grand nombre de pays : la Colombie, grand producteur de drogue ou la Suisse et le Lichtenstein pour la délinquance financière ou avec d’autres agences européennes.
Un chiffre donne une idée de l’activité intense d’Europol : en 2018, 10.000 personnes ont participé à des réunions organisées sur des opérations concrètes.
Ce travail tout azimut (NDLR) est incontournable.
Par exemple, la question est posée de savoir pourquoi des femmes quittent famille, amis pour rejoindre Daech. Comment essaie-t-on de les convaincre ?
A contrario, la police n’a pas du tout été impliquée dans les questions que pose le développement de la 5G. Dommage pour l’évaluation des conséquences sur la sécurité.
A ce titre l’opération « Stop Child Abuse – Do you recognise these objects » est remarquable. Europol tient dans ses données une quantité de photos d’objets liés aux abus sexuels sur les enfants. Le fait de les partager et de lancer un appel demandant de signaler des informations permet, sur base des réponses, de déterminer l’hôtel et l’enfant victime.
La multiplicité des dossiers de criminalité impose de sélectionner et d’avoir un budget suffisant.
Selon Mme De Bolle, le budget d’Europol n’est pas suffisant. Il est même prévu une diminution de 10% pour les années 2021 à 2027. Ce qui signifie moins d’investissements pour la sécurité intérieure, les opérations aux frontières extérieures ayant été privilégiées.
Cette distinction n’est pas pertinente et pose problème à Europol.
Après cet exposé clair et riche d’informations, Mme De Bolle s’est prêtée au jeu des questions.
Plusieurs membres interviendront.
Quelle assurance a-t-on que l’auteur d’un abus sexuel sera poursuivi ?
Mme De Bolle reconnait qu’Europol n’a aucun pouvoir sur des pays tiers. Dans des pays asiatiques, les familles elles-mêmes empêchent toutes poursuites, question de survie. En Europe, notamment au Danemark le suivi est fait.
Une autre question porte sur la coopération en Belgique. La réponse est que la coopération organisée par Europol a pu être efficace par le niveau élevé de protection des data. Celle-ci est plus récente en Belgique.
Mme De Bolle assure que la coopération à Europol fonctionne bien grâce aux contacts directs. Ainsi les officiers de liaison se réunissent chaque semaine pour discuter des grands dossiers.
Cela dit, par exemple, dans le cas de la cybercriminalité, c’est plus compliqué. On ne sait pas quel pays est impliqué. Europol devrait avoir la main dès le départ.
Deux membres de l’Assemblée se posent la question du Brexit » et de l’utilisation de la langue anglaise.
Le Royaume uni sera considéré comme pays tiers et, selon Mme De Bolle, conclura un contrat avec Europol. L’anglais restera malgré tout une langue commune mais Mme De Bolle a remarqué que la langue française a tendance à être utilisée davantage, ce qui ravi l’assemblée.
Le question/réponse se poursuit et un membre demande si le refus de l’adhésion de l’Albanie ou la Macédoine a des conséquences et quelle est l’action en matière d’environnement.
Des échanges ont lieu avec les pays de ces régions via les officiers de liaison de la région mais il reste des soucis de fiabilité répond Mme De Bolle. Quant à l’environnement, c’est un domaine de préoccupation et la France est responsable de son suivi.
Quid aussi des effets du terrorisme au quotidien. On constate moins de liberté pour plus de sécurité. Ce qui touche à nos valeurs de liberté !
Mme De Bolle répond que, depuis 2016, on mobilise beaucoup d’énergie et de moyens dans la lutte contre le terrorisme car les faits ont été spectaculaires. Elle comprend certaines inquiétudes.
Elle ajoute qu’elle considère qu’il faut s’investir autant dans la grande criminalité et son lot de violence, de dommages économiques etc..
Des instruments d’analyse sur les financements, les transferts, le blanchiment d’argent sont en train d’être développés.
Certains pays ne se sont pas suffisamment préoccupés de l’emprise de la grande criminalité et n’ont pas le même niveau d’expertise que d’autres. Difficile d’avoir un tableau complet.
La question des migrants est abordée.
Europol travaille sur la traite des êtres humains et coopère avec Frontex mais malheureusement le cas des enfants non accompagnés n’est pas encore reconnu comme un vrai problème. Ils sont livrés au travail, à la prostitution. Il faudrait un système de reconnaissance d’identité, un grand nombre de ces enfants étant « hors des radars ».
Une autre question porte sur l’influence d’Europol sur les opérateurs qui abritent la cybercriminalité. Les grandes firmes privées coopèrent mais, ajoute Mme De Bolle, ce sont quand même toujours des « privés ».
Et les malfaiteurs, quant à eux s’adaptent et utilisent de plus en plus des petits serveurs.
Michel Foret intervient pour souligner la différence entre un FBI et Europol et demande s’il faut un « bras fédéral » à Europol ?
Non, répond, Mme De Bolle, l’UE n’est pas un Etat fédéral ! Le lien de confiance doit être établi avec chacun des Etats membres. Ce qui n’empêche pas d’évoluer et d’aller vers plus de flexibilité et d’échanges.
Notre Président reprend les derniers résultats concernant le terrorisme, dans l’UE. Pour 60 attentats, on compte 613 arrestations. En Belgique, pour un attentat, 166 arrestations !
La coopération fonctionne très bien en Belgique.
C’est sur cette dernière remarque que Mme De Bolle fut chaleureusement remerciée et applaudie pour ces deux heures passionnantes et qu’aucun des participants n’a vu passer !
Raymonde DURY